Vieux et Queer

L’acceptation des séniors de la communauté LGBTQIA+ : un enjeu de dignité et d’inclusion

La communauté LGBTQIA + n’a de cesse d’évoluer aux côtés de leurs combats pour ses libertés. Le dernier, le plus marquant, étant la légalisation du mariage de même sexe en 2013, en France. Bien que les droits de la communauté LGBT continuent d’être obtenus et que les paroles se délient, il existe toujours des cas d’isolement et des non-dits, en particulier chez les seniors.

En effet, d’après une étude de l’INSEE publiée en 2021, près de 1,5 million de personnes âgées de 75 ans et plus souffrent d’isolement en France. Qu’en est-il de la communauté LGBT ? Que se passe-t-il quand ses membres vieillissent ? Bien qu’il n’y ait pas de statistiques françaises pour illustrer ce fait sociétal, — car il est interdit de récolter des données sur les personnes selon leurs orientations sexuelles —, nous avons quelques éléments de réponse. Nous avons rencontré une spécialiste dans ce domaine, Dominique Lefevre, sexologue et psychologue à l’association Grey Pride, qui nous en dit plus sur les conditions des personnes queer du troisième âge.

Le mot anglais queer désigne jusqu’à la fin du XIXème siècle, quelque chose d’étrange et de bizarre. Le terme s’est ensuite répandu à travers le monde pour parler négativement des minorités sexuelles ou de genre. Cependant, à partir des années 80, la communauté LGBTQIA+ (Lesbien, Gay, Bisexuel, Transexuel, Queer, Intersexe, Asexuel) se réapproprie le mot afin de se désigner elle même, l’insulte devenant alors un terme couramment employé aujourd’hui.

Qu’est-ce qui vous motive, en tant que chercheuse, à vous intéresser aux sujets du vieillissement des personnes LGBT ?

Ce qui me motive, c’est de voir les évolutions des revendications et du plaidoyer qui sont riches et variés et qui s’affinent de plus en plus au fil des années. Je fais aussi cela par rapport à ma propre expérience de porter des discours auprès des populations vulnérables. Dès que je suis concernée, je m’implique, je ne reste pas invisible. Je prends donc l’axe d’une femme, lesbienne militante, écrivaine active de 70 ans en réflexion constante. Il y a donc ce que je constate et de l’autre côté ce que j’ai vécu qui n’est pas en phase avec les constats généraux, étant une personne bisexuelle issue du monde hétérosexuel mariée jusqu’à 50 ans avec 2 enfants. Mon métier de psychologue a renforcé une souplesse réflexive sur ces sujets. J’ai écrit tout au long de ma vie et adore la sapiosexualité. Depuis 20 ans, je me consacre à la visibilité de soutien auprès des populations LGBT et je fais partie de l’association GreyPRIDE depuis 2016 dont l’ouvrage qui sortira fin mars 2025 se nomme « Autrement vieillir : vulnérabilités et résistances LGBT + ».

C’est donc vrai que j’aime bien porter le drapeau pour les autres également, mais je crois que je commence à faiblir un peu, je pense que je vais passer le relais.


Dans notre société, les personnes âgées sont généralement mises de côté, plus on vieillit plus on devient invisible. Qu’en pensezvous ?
Il y a quelque chose de plus technique qui est en train de se jouer au niveau du rejet dans le vieillissement. Depuis 2022, il y a le CNAV, le Collectif National autoproclamé de la Vieillesse, qui est un mouvement citoyen, et qui concerne tous les vieux et les vieilles globalement. Il y a une partie militante LGBT parce quoiqu’on en dise, ce sont des mouvements qui promeuvent beaucoup l’affirmation de soi à tous les niveaux. 
Par exemple, dans les années 70, des communautés féministes ont cherché à échapper aux normes hétéronormatives et dominantes en s’invisibilisant par des choix de vie communautaires hors du champ social mainstreaming.
Avec le vieillissement, celles-ci peuvent être confrontées à un accroissement d’invisibilité et des représentations erronées et négatives. Il n’est pas rare d’entendre que le port d’un appareil auditif ou de se déplacer avec un déambulateur soient des indicateurs stigmatisant socialement. Le vieillissement, de par la perte du travail et de liens sociaux, crée ou renforce un isolement.


Qu’en estil de la communauté LGBT ? Que se passetil quand elles vieillissent ? 
Il y a beaucoup de maltraitances au sein du vieillissement : l’invisibilité, l’isolement, etc. En allant présenter l’ouvrage “Autrement Vieillir : vulnérabilité et résistance LGBT”, le but était de mettre sur un pied d’égalité les différents discours autour justement de vieillir quand on est LGBT. C’est pour cela que l’association GreyPRIDE a développé des revendications, un plaidoyer depuis 2016 pour améliorer la visibilité et le soutien aux seniors LGBT+.


Qu’avez-vous constaté comme discriminations envers les seniors LGBT ?
Ce que je constate par rapport à des femmes ou des hommes qui ont été gays depuis leur adolescence, c’est qu’ils ont subi énormément de stigmatisation, d’ostracisation, une pénalisation et une criminalisation éventuelle. 
J’ai eu des témoignages de gens qui ont quatre-vingt ans ou plus et qui en ont subi aussi bien de la part du curé que de leurs parents. Je me rappelle de ce monsieur, Yvon, il m’expliquait que sa mère l’avait emmené voir le curé. Après, elle l’a emmené voir le médecin, elle voulait le soigner à tout prix de ce qu’elle appelait une maladie. Il a fallu qu’il parte à Paris, comme ça se faisait beaucoup à l’époque dans les capitales, dans les grandes villes pour pouvoir vivre son homosexualité tout simplement.


Yvon vivait dans une petite ville, c’est bien ça ? 
Oui, si je ne me trompe pas, il était vers Angers, une ville très bourgeoise, avec des personnes pratiquantes etc. C’est un monsieur qui se présente très bien, et c’était drôle parce que la première fois que je l’ai vu, c’était le début de Grey Pride en 2017 et je le vois dans un café parce que je n’avais pas de lieu à l’époque. 
— Quand je l’ai vu dans le café, il m’a dit : c’est incroyable je peux vous voir comme ça dans le café, je peux vous dire je suis ho.mo.se.xuel, je suis homosexuel. Et il l’a dit plusieurs fois et je me suis dit que cela avait dû être pesant pour lui — 
Parce qu’on imposait le silence. Je m’intéresse beaucoup aux processus et je pense que ce qui est porteur, c’est de voir les processus d’évolution. On évolue, on a des idées, des identités différentes, on a des manières de se définir différentes selon aussi les périodes et les époques. Le processus de « silenciation » était sûrement beaucoup plus fort à cette époque, et la révolte était à la hauteur du silence dans lequel les personnes étaient enfermées.


Estce qu’on peut suivre ces évolutions ?
Avec Romain Vequier, on avait organisé des ateliers autour du vieillissement. On avait fait venir différents experts et un statisticien. En France, c’est interdit de faire des statistiques sur les populations LGBT, donc on n’a aucun retour. C’est très difficile de mettre en avant des discriminations qui seraient liées aux populations LGBT parce que ce n’est pas comme aux États-Unis, qui eux ont le droit. C’est comme les personnes racisées, nous n’avons pas le droit de mettre par catégories alors qu’aux États-Unis ils le font. Mais sur le vieillissement en général, il y a des données parce qu’il y a l’INSEE et donc des retours et du chiffrage sur les discriminations.


Est-ce qu’il y a une différence entre les femmes homosexuelles et les hommes homosexuels quand ils vieillissent ? 
Alors, il y’a une grande différence qui est en train de se produire entre les femmes avancées en âge et les hommes. Les femmes avancées en âge LGBT+ font face à une triple stigmatisation : celle liée à l’identité de genre en « catégorie femme », à l’âge avancé et à leur orientation sexuelle. Les femmes ou/et lesbiennes de 65 ans et plus connaissent aussi cette ostracisation du genre à laquelle elles ne pouvaient pas toujours échapper, associée à une discrimination liée à une orientation sexuelle non hétérosexuelle les sortant du champ de la sexualité reproductive.
Je suis co-écoutante depuis le début de l’association. Les appels concernent principalement des personnes à 90% masculines en difficulté psychologique, sociale ou médicale. Certain·es font aussi des coming in et out à l’âge de la retraite. Pour la majorité, ils sont encore mariés, ils ont des enfants, puis d’un seul coup ils sont à la retraite et ils réalisent qu’ils sont profondément homosexuels, plus qu’hétéro. Cela ne les empêche pas d’être heureux, même en famille, ils aiment leurs femmes, ils aiment leurs enfants mais ils ne se sentent pas sexuellement attirés par les femmes. Ils se demandent s’ils doivent vivre leur homosexualité ou rester invisible.


Avec Richard, la personne qui fait la ligne d’écoute avec moi, on ne s’emballe pas du tout. On ne leur dit pas : “si si, vous laissez tout tomber et vous partez à fond dans votre homosexualité”. Parce que l’on sait que dans le vieillissement, il y a une discrimination très forte et qu’ils vont être encore plus isolés que s’ils restent dans leur famille, avec leur femme, etc. On leur dit qu’ils auraient peut-être tout intérêt à se outer faire un coming out* — dans leur milieu proche, peut-être avec une oreille compatissante sans qu’ils soient profondément rejetés. On leur dit qu’ils auraient tout intérêt à garder l’affectif, la proximité plutôt que d’envoyer tout balancer à des âges avancés et se retrouver seuls à chercher l’âme sœur masculine qu’ils ne trouveront peut-être pas. Étant donné que surtout chez les hommes, plus que chez les femmes, il y a une ostracisation liée à l’âge et après vingt-cinq ans, les garçons ont un vrai problème de désirabilité sexuelle. Et c’est très compliqué pour eux. 
Pour pallier ce problème, certains hommes homosexuels parlent d’un retour potentiel des mariages lavandes. Historiquement, les mariages lavandes avaient lieu dans les années 40 et 50 ; une personne homosexuelle décidait de rentrer dans un mariage hétéronormé  avec le consentement du partenaire pour certains pour se protéger du jugement de la société, pour se protéger financièrement également et pour ne pas vieillir seul. 
Ces mariages pourraient tout à fait revenir à la mode, car de plus en plus d’hommes gays ont du mal à trouver l’amour et les femmes hétérosexuelles n’ont plus confiance aux hommes hétérosexuels. Sur les réseaux, des hommes gays exposent leurs qualités en tant que potentiels maris lavandes. Il semblerait que nous puissions voir émerger de nouveaux types de relations dans les années à venir. Des personnes prêtes à privilégier des relations saines et épanouies, quitte à ce que ce soit de l’amour platonique, plutôt que des relations hétéronormées. 
Cette façon de penser pourrait devenir une nouvelle norme, un nouveau moyen de créer des relations où chaque parti a ce dont il a besoin pour s’épanouir — soutien, affection, famille, enfants,— tout en pouvant explorer leur sexualité en ouvrant le mariage.


Est-ce qu’il y a des difficultés financières auxquelles les seniors LGBT font face ?
Le CNAV vient de sortir un livre, intitulé : “Les Vieux et l’Argent”. Et c’est vrai qu’il y a un vrai problème de fond dans le vieillissement parce qu’ils peuvent être aussi des proies, ça pose un problème à tous les niveaux. Ils peuvent être considérés comme des poids financiers qui peuvent être pris en prédation. Par contre, c’est vrai que les couples lesbiens sont beaucoup moins riches que les couples homosexuels gays, cela a été dit. Deux hommes ensemble, en général, ont un niveau de vie supérieur puisqu’il y a toujours ces inégalités financières et économiques, entre les sexes. Cela peut être une stigmatisation, on va imaginer que tous les vieux sont riches, qu’ils ont tous leurs maisons, ou qu’il y a des économies. 


Est-ce une fatalité de retourner dans le placard ou faire son coming in* quand on vieillit et qu’on fait partie de la communauté ? Sinon, quelles sont les choses mises en place pour désinvisibiliser la sexualité et le genre des personnes âgées ?
Ce n’est pas une fatalité de retourner ou d’être dans le placard, bien que certaines personnes âgées LGBT+ puissent ressentir cette pression, surtout en milieu de soin. S’engager et participer à la vie sociale est fait de l’acceptation de nos propres différences.
Pour remédier à cette invisibilité, Grey PRIDE met en place des groupes d’auto-support, les régions et les mairies collaborent avec les centres LGBT+ pour organiser diverses activités. Parallèlement, des programmes de sensibilisation destinés aux professionnel·les de santé, ainsi que des espaces de dialogue et de socialisation, contribuent à favoriser la reconnaissance et le respect des identités de genre et des orientations sexuelles à tous les âges.


Les groupes d’auto-support, qu’est-ce que c’est exactement ?  
Historiquement, lorsqu’on cherche des informations sur les groupes d’auto-support sur Internet, on tombe souvent sur ceux destinés aux toxicomanes, comme les Alcooliques Anonymes. Ces groupes étaient considérés comme des espaces pour les « rebuts » de la société. Pourtant, au sein même de leur communauté, leurs expériences et attitudes étaient valorisées. Les gays se sont appropriés ce système avec le VIH parce que la stigmatisation et les discriminations tournent autour de la sérophobie.


En France, selon le CRIPS, plus de 40 % des personnes vivant avec le VIH ont 50 ans et plus. Une grande partie sont donc des séniors qui, en plus d’être invisibilisés par le vieillissement, peuvent se sentir encore plus isolés et discriminés s’ils font partie de la communauté LGBT. Rajouté à cela, les personnes séropositives, nous ajoutons une nouvelle couche d’ostracisation. En effet, selon AIDES, 77 % des Français-es pensent encore qu’il est possible d’être infecté-e par le VIH en ayant un rapport sexuel non protégé avec une personne séropositive sous traitement. La sérophobie est toujours présente, certaines personnes se détournent même de leurs amis séropositifs par ignorance et par peur de la maladie.
 
Ce n’est pas juste exclusivement pour les personnes séropositives par exemple ces groupes ? 
Non non, pas du tout, mais ce genre de groupe, quand je les ai rejoints en 2016, j’ai été très impressionnée par leur plan d’action et comment ils s’organisaient. Au final j’ai beaucoup plus appris auprès de ce genre de groupe qu’avec des groupes féministes. Mais il faut quand même être costaud dans ce genre de groupe. Voilà pourquoi je pense que les habitats partagés doivent être inclusif, par exemple les handicapés avec Handy Queer. Mais tout ça fait partie d’un ensemble, de ces alliés qui sont rejoints dans cette idée de vulnérabilité, que ce soit des personnes en fauteuil, des personnes âgées qui parlent, c’est bien tout cela. Nous, par exemple, on est souvent confronté à des vulnérabilités dans le vieillissement. Parfois, on nous demande d’être des personnes de confiance et d’accompagner dans la mort, par exemple ceux qui ont le VIH. On les accompagne pour mourir dans la dignité. Tout ça donc est rejoint dans Grey PRIDE, donc c’est pour ça qu’être dans cette association peut parfois être très dur. 

Les habitats partagés n’accentuent-ils pas l’isolement et le communautarisme ?
Les habitats partagés LGBT, ce n’est pas possible, c’est avec le + du terme LGBTQIA+, c’est-à-dire les alliés, que cela peut fonctionner. C’est aussi l’intersectionnalité des femmes, par exemple, avec des femmes qui généralement vivent plus longtemps que les hommes et qui cherchent la compagnie des gays. L’habitat partagé doit, pour moi, être inclusif dans tous les sens du terme. Les Audacieuses et les Audacieux vont d’ailleurs ouvrir leurs habitats partagés à Lyon cette année. 
La Maison de la Diversité à Lyon, est un projet initié par Stéphane Sauvé, ancien directeur de maisons de retraite et l’association les Audacieuses et les Audacieux. L’objectif est de créer un espace sécurisant, inclusif et participatif pour pallier à l’isolement des séniors, et plus particulièrement des séniors LGBT. Cet espace se veut également intergénérationel en incluant des logements étudiants, hétéro friendly avec des soins accessible aux séniors ayant des besoins spécifiques, notamment ceux qui sont atteints du VIH.


La communauté LGBT s’est toujours battue pour ses droits, le droit d’être soi. Il semblerait que même avec l’âge, cette ardeur ne faiblit pas. Qu’en pensez-vous ?
En effet, l’ardeur de la communauté LGBT+ ne faiblit pas avec l’âge. Les seniors LGBT+ continuent de lutter pour leurs droits et de défendre leur identité avec détermination. Leur expérience et leur résilience enrichissent la communauté et inspirent les générations suivantes. Le vieillissement ne diminue pas l’engagement, mais peut plutôt renforcer la volonté de préserver et d’améliorer les acquis pour eux-mêmes et pour les futurs aînés LGBT+.
J’ai constaté que des relais militants se faisaient  entre des personnes auparavant prises par le travail et se rendant disponibles en vieillissant pour s’engager et succéder à  d’autres plus fatigué·es.


Comment imaginez-vous la prochaine génération de personnes âgées LGBT ?
La prochaine génération de personnes âgées LGBT+ bénéficiera des avancées réalisées par leurs prédécesseurs et prédécesseuses. Avec une meilleure sensibilisation, des politiques inclusives et un accès accru aux ressources, elles pourront vieillir dans un environnement plus accueillant et respectueux. La visibilité et la représentation positive des seniors LGBT+ devraient continuer de s’améliorer, contribuant à une société plus inclusive et équitable. Nous pouvons imaginer des vieilles et vieux LGBT+ vivant pleinement leur identité et bénéficiant d’un soutien communautaire solide et d’un réseau social riche.
L’association Grey PRIDE se doit de poursuivre son travail de visibilité et de soutien aux vieilles et vieux LGBT+, avec des initiatives et des avancées qui seront bénéfiques aux droits et identités des générations suivantes.


Glossaire : 
outer = faire son coming-out : révéler publiquement, à sa famille et à ses proches ou à tout son entourage, notre orientation sexuelle
coming in = faire un coming in : après avoir révélé son orientation sexuelle pendant une partie de leur vie, les personnes faisant un coming in décident de cacher à nouveau leur orientation sexuelle de peur d’être discriminés.

Louis & Léa

Nous sommes Louis et Léa, deux personnes appartenant à la communauté LGBT qui souhaitent raconter la vie des personnes seniors LGBT et leurs problèmes.