Et si l’intimité ne prenait pas sa retraite … même en EHPAD?  

Et si la sexualité ne s’arrêtait pas à la porte des EHPAD ? Selon le rapport de 2022 de l’association les petits frères des pauvres, 1 personne âgée sur 2 est sexuellement active en France. Pourtant, dans les EHPAD très peu de dispositifs sont mis en place pour accompagner à la libido des seniors. Il n’y a pas de lit double à disposition et aucun service de dépistage des MST ou de distribution de préservatifs ne sont proposés aux résidents. La sexualité des seniors y est invisibilisée, et ce au risque de leur santé.

Vieillir oui, désirer aussi : une sexualité passée sous silence

Beaucoup de seniors continuent d’avoir une vie intime et affective, qu’ils soient en couple ou non. Selon  les petits frères des pauvres, une personne âgée sur deux est toujours sexuellement active. Pourtant, dans l’imaginaire collectif, la sexualité s’arrête avec l’âge. La professeure du département de sexologie de l’UQAM, Isabelle Wallach confirme que la croyance selon laquelle les seniors sont perçus comme « asexués » persiste encore.  
Résultat ? Des idées reçues qui persistent encore, ce qui conduit les seniors à se sentir isolés et à souffrir mentalement. Selon plusieurs études relayées par l’association les Petits Frères des Pauvres, la sexualité chez les seniors offre des bienfaits dépassant le simple plaisir. Elle joue un rôle important dans le bien-être mental, aidant à réduire le stress tout en améliorant l’estime de soi. L’orgasme, en particulier, libère des endorphines qui aident à lutter contre l’anxiété et la dépression. Une vie affective et sexuelle épanouie reste essentielle pour préserver leur bien-être mental, même en institution.
En EHPAD, la sexualité est davantage ignorée et invisibilisée. Certains résidents se sentent infantilisés, voire coupés de toute forme d’intimité, faute d’un accompagnement adapté. Le nombre de personnes sexuellement actives en EHPAD reste largement inférieur à celui observé dans le reste de la population. Selon une étude britannique réalisée en 2015, seulement 10% des résidents seraient  sexuellement actifs. Un chiffre qui met en lumière les obstacles auxquels les aînés sont confrontés dans ces établissements, souvent liés à un manque de reconnaissance de leurs besoins affectifs et sexuels.
Mais, invisibiliser la sexualité des seniors, c’est aussi nier les dangers sur la santé d’une sexualité à risques.

IST, consentement : les zones d’ombre de la vie intime en EHPAD

Contrairement aux idées reçues, les infections sexuellement transmissibles ne touchent pas uniquement les jeunes.
Selon Santé publique France, entre 2021 et 2023, le taux d’incidence des diagnostics de gonococcie a augmenté chez les hommes comme chez les femmes, toutes tranches d’âge confondues. La hausse est davantage marquée chez les personnes de 50 ans et plus, particulièrement chez les hétérosexuels.
Selon une étude publiée par les Presses de l’EHESP en 2019, le nombre de personnes de plus de 60 ans infectées par le VIH est passé de 1 041 à 1 184 entre 2008 et 2016. Cela représente 20 % des découvertes de séropositivité en 2016.
Cette augmentation notable des IST chez les seniors est souvent méconnue du grand public. Faute d’information et d’habitude de protection, très peu de personnes âgées se sentent concernées par les outils de prévention. Une enquête intitulée « VIH et Séniors » a interrogé 1 310 individus âgés de 50 à 70 ans et 543 individus âgés de 18 à 49 ans. Il en ressort que seulement 12 % des 50-70 ans se sentent concernés par les risques d’infection, contre 28 % chez les 18-49 ans. Les 50-70 ans n’estiment pas faire partie des populations les plus à risque, sans compter que les campagnes de prévention des IST s’adressent principalement aux jeunes et ne concernent habituellement pas les seniors. Le langage utilisé est souvent celui du “parler jeune” ce qui est plus compliqué à comprendre pour nos aînés.

Campagne de prévention contre les IST

Une autre problématique majeure concerne les résidents d’EHPAD, celle du consentement. 
Agathe est aide-soignante en maison de retraite. Elle illustre les risques d’absence de consentement dans ces établissements avec l’exemple de ses résidents Bertrand* et Lucette*.

Lucette est arrivée récemment et est atteinte de problèmes neurologiques. Elle est toujours mariée et son mari vient la voir assez régulièrement. Bertrand s’est pris d’affection pour Lucette, sans réciprocité de la part de cette dernière.
« Un jour, Bertrand était allé voir Lucette et a essayé de l’embrasser à 2 reprises, elle a réussi à détourner la tête ».
Cela a poussé l’Ehpad à réfléchir concernant les mesures à mettre en place afin d’éviter que cela se reproduise. Or, rien n’a été fait. “Trois semaines plus tard, les infirmières de nuit ont retrouvé Bertrand à 4h du matin, sur Lucette, la chemise dégrafée”

Lucette a avoué “Moi je veux rien faire qui va à l’encontre de mon mari, il a fait quelque chose de déplacé. Bertrand était seulement un bon copain pour moi et pas un amant ».
Après cet événement, l’Ehpad a enfin pris les mesures nécessaires et Lucette a été changée de service.
La question du consentement se pose également pour les personnes souffrant de problèmes neurologiques : “Elle n’ est plus en capacité de donner son consentement ».
Le consentement ne disparaît pas avec l’âge. Pourtant, dans les EHPAD, cette notion reste floue, voire absente. Le dernier rapport de la Haute Autorité de la Santé recommande pourtant une évaluation individuelle de la capacité à consentir, principalement pour les résidents souffrant de troubles cognitifs. L’organisme recommande également une formation adaptée du personnel. En pratique, très peu de ces dispositifs sont mis en place. Comment garantir le respect et la protection des résidents en situation de vulnérabilité ?
« Le préservatif, plus on vieillit moins on se sent concerné » (Presses de l’EHESP)

Le désert de la prévention dans les EHPAD

L’aménagement des Ehpad en France est plutôt pensé comme un hôpital plutôt que comme un lieu de vie. La vie sexuelle des résidents n’est que rarement prise en compte. Selon les dernières recommandations de la Haute Autorité de Santé, moins de 7 % des EHPAD mettent en place des dispositifs visant à favoriser la vie intime de leurs résidents. 

Dans son rapport concernant la sexualité de nos aînés, le docteur Didier Kurth démontre que les EHPAD manquent de politiques claires sur l’accompagnement de la sexualité des personnes âgées. Le personnel soignant n’est généralement pas formé à ces questions, et l’organisation des établissements ne favorise pas l’intimité. L’accès aux moyens de protection comme les préservatifs ou aux services de dépistage reste également très limité, voire absent. Dans certains cas, les familles s’opposent aussi à l’idée que leurs proches puissent entretenir des relations en institution, renforçant ainsi le tabou.
Dans les faits, cela signifie que de nombreux seniors sont privés de leur droit à une vie intime, soit par manque d’accompagnement, soit par interdiction. Pourtant, des solutions existent pour concilier respect, protection et bien-être des résidents.

Faire place à l’intimité : accompagner autrement en EHPAD

Des formations spécialisées, comme celles proposées par l’association GreyPride, ont justement pour objectif de sensibiliser le personnel médical à la sexualité de leurs résidents. 
Repenser l’aménagement des lieux permettrait également aux résidents d’avoir plus d’intimité. Certains Ehpad ont commencé à s’adapter, en mettant en place de nouvelles dispositions comme la fabrication de lits doubles médicalisés ou la distribution de pancartes “ne pas déranger” visant à préserver l’intimité des résidents.
Instaurer un dialogue ouvert avec les soignants, les familles et les résidents eux-mêmes pourrait lever le tabou à ce sujet. Le respect de l’intimité et du droit au plaisir fait partie de la loi du 2 janvier 2002 concernant les résidents en EHPAD  “Les institutions sont tenues d’établir une charte énonçant les droits fondamentaux des résidents, incluant le respect de leur dignité et de leur intimité. Cette charte est remise à chaque résident lors de son admission, et le personnel est tenu de la respecter”. (pour les personnes agées.gouv)

Un engagement collectif pour une sexualité respectée

Vieillir ne signifie pas renoncer à une vie affective et sexuelle. La prévention ne doit pas s’arrêter à la jeunesse, elle concerne tous les âges, y compris dans les EHPAD. En levant les tabous, en informant et en formant, on permet aux seniors de vivre plus sereinement et dans le respect de leur dignité. Le bien-être, à tout âge, passe aussi par la liberté d’aimer et d’être aimé. 
Dans la maison de retraite où travaille Agathe, c’est après la formation de deux couples au sein de l’établissement que ce dernier a pris quelques mesures afin d’améliorer l’intimité des seniors. “On a mis en place des écriteaux “ne pas déranger” comme dans les hôtels. Ils le mettent sur la poignée et peuvent aller dans la chambre de l’un ou de l’autre sans avoir peur d’être dérangé”.
Ces initiatives, de plus en plus présentes au sein des EHPAD,  illustrent bien la prise de conscience naissante des besoins affectifs et sexuels des seniors.

* Les noms ont été changés.

Tess & Nell

Nous sommes Tess et Nell, deux étudiantes et nous avons voulu mettre en avant la sexualité des seniors dans les EHPAD, un sujet bien trop invisibilisé aujourd’hui.
 Nous avons échangé avec des professionnels afin de sensibiliser sur le manque de prévention, les risques que cela peut entraîner, mais également le désir toujours présent même en vieillissant.