Photo Daniel et Annick, article 1

Aimer, à en perdre la raison : Portrait d’Anick et Daniel

Café de centre-ville, à l’ambiance des années 50 avec le jazz en fond sonore. Anick et Daniel, avec leurs cheveux grisonnants et habillés de leurs manteaux d’hiver couvrant le froid du mois de mars, sont installés dans ce café qu’ils connaissent bien, « Le Petit Rabot ».
Au milieu du bruit des machines à café, des couverts et des passants, ils sont installés sur la petite banquette dans le renfoncement où ils ont l’habitude de se poser, accompagnés d’un café. Ce couple de septuagénaires qui partage depuis 51 ans leurs journées, nous raconte leur histoire.

Leur histoire débute en 1973, l’année de leurs 19 ans. Ils se rencontrent dans le bus qui les emmène à leurs jobs d’été respectifs. Ils passent tout l’été à se croiser chaque jour, sans savoir qu’ils vont passer le reste de leur vie ensemble. « Il est arrivé ce qu’on appelle le coup de foudre, je ne sais pas si vous connaissez », nous lâche Daniel sur un ton taquin. Daniel est un personnage haut en couleurs, pour qui la vie est une fête. Il n’aime pas répondre aux questions avec des réponses simples. Il préfèrera toujours pousser la chansonnette et raconter une bonne blague de Coluche. Tellement il fait de blagues quand il parle qu’il se sent obligé de rassurer les gens qui l’écoutent, à base de « c’est une blague hein, je rigole ne vous inquiétez pas ».

De confession chrétienne, il affirme : « Rien n’est une coïncidence, la vie est toute tracée. Je suis là grâce à Dieu et c’est lui qui a permis notre rencontre ». Quand on vit autant de coïncidences, il est difficile de croire au hasard. Après s’être retrouvés dans le bus tous les jours de l’été, et alors qu’à cette époque les textos n’existaient pas. Il était improbable pour eux de se revoir quelques mois plus tard à la fac de Poitiers, « la meilleure fac de France, car on y était ». Ils sont même passés tous les deux devant le même jury, le même jour, pour l’oral du bac. Avec tant de «coïncidences», Anick a tout de suite su qu’elle devait quitter la Fac de Lettres de Poitiers, traverser la cour et rejoindre Daniel en Droit. À force de passer leurs journées ensemble en cours, ils ont commencé les allers-retours dans leurs petits appartements du Crous, jusqu’à choisir d’emménager ensemble. Pourtant, à l’époque des pattes d’eph et des tapisseries orangées aux motifs fleuris, vivre ensemble avant le mariage n’était pas la norme. Mais Anick et Daniel, en bon avant-gardiste, n’en ont que faire des codes de la société et préfèrent vivre leur vie comme ils l’entendent : « On n’est pas des libres penseurs, on est des penseurs libres ». En plus des cours et de leur appartement, ils passent leurs années d’études à fréquenter ensemble la bibliothèque universitaire de Poitiers, leur lieu préféré du campus. Une véritable mine d’or remplie d’archives pour ces « deux malades, des vrais rats d’archives et compagnie ». 

Une passion à toute épreuve 

48 années de mariage, et pourtant aucune grosse dispute, aucun moment de doute. « Ce n’est pas le problème qui nous oppose, c’est nous contre le problème », nous explique Anick avec une lueur de fierté dans ses yeux bleus perçants. Lorsque l’on est témoin de cette osmose qui relève de l’utopie, il est impensable de se douter qu’il s’y cache une part d’ombre. Une tragédie qu’ils peinent à se remémorer. « La pire épreuve, c’est quand nous avons perdu notre fille », se livre sans crier garde, Daniel à propos de leur fille de 5 ans, partie à la suite d’un cancer. « Une mise à l’épreuve constante » confie Anick, en décrivant une petite fille intelligente, vive et belle. « Elle tenait de ses parents » ajoute Daniel pour détendre l’atmosphère. 

« On aurait dit qu’elle avait déjà eu toute cette part de vie, et que ça y était, elle avait fait assez, donc elle pouvait partir », raconte Anick les yeux voilés. Cette épreuve, souvent insurmontable, est devenue la force qui les a unis à jamais : « C’est quelque chose qui peut faire éclater un couple où le rendre plus solide, nous on a eu la chance que ça nous rende plus fort ». Après avoir vécu un drame pareil, plus rien ne leur semble insurmontable. Alors ils préfèrent relativiser, accepter de vivre le moment présent, et se tourner vers les autres. En plus de ce combat contre la maladie, un autre combat se joue, celui du temps qui passe.


« Aimer, c’est partager »

Après 42 ans de vie de couple, rien n’est jamais acquis, il faut faire des efforts chaque jour. Daniel nous donne sa recette de l’amour qui dure : « L’amour qu’on a pour une personne pourrait être représenté par une bougie : si tu laisses la flamme consumer la bougie toute seule, elle va finir par arriver au bout, faire fondre toute la cire et s’éteindre. Si tu veux qu’elle perdure et qu’elle ne s’arrête jamais de briller, il faut remettre de la cire, s’en occuper, en prendre soin tous les jours. Si tu fais tout ça, tu pourras la regarder illuminer ta pièce pour toujours, sans jamais s’arrêter… ». Pour entretenir cette flamme, Anick et Daniel mettent un point d’honneur aux dates clés comme celle de leur rencontre, la Saint-Valentin, leur anniversaire de mariage et aux moments présents… Et même s’il n’y a pas d’occasions c’est toujours la bonne occasion de s’offrir un petit quelque chose. 
 
Ces moments présents, ils les vivent aussi à travers leurs passions communes et leurs habitudes quotidiennes. Retraités depuis plus d’une dizaine d’années, ils consacrent leur temps libre à faire de la randonnée, à rejoindre leurs amis sur les terrasses des cafés niortais, à leurs enfants et à la vie.

Portrait de Daniel et Annick plus jeune

« Aimer, à perdre la raison / Aimer, à n’en savoir que dire / À n’avoir que toi d’horizon / Et ne connaître de saisons / Que par la douleur du partir / Aimer, à perdre la raison »

Vous l’aurez compris, Daniel, l’amoureux fanfaron, s’est remis à chanter. C’est à travers ces belles paroles de Jean Ferrat qu’il nous raconte ce qu’est pour lui l’amour. Une douce mélodie qui vous enivre tous les jours, qui vous submerge et qui bouscule les pensées tendrement. Anick préfèrera quant à elle répondre de manière moins lyrique certes, mais tout autant poétique : « aimer, c’est écouter, dialoguer, partager avec l’autre, se partager à l’autre. Aimer c’est aussi ne pas toujours être d’accord ou ne pas tout aimer ensemble, pour pouvoir découvrir et apprendre de l’autre ». La base même de leur union est le dialogue, le courage de dire les choses en face et la sagesse d’écouter l’autre.

À travers cette confession, on comprend l’amour que porte Daniel aux gens. Un amour que nous relate Anick lorsqu’elle nous cite les cinq qualités de Daniel. Exercice difficile pour Anick, tant elle a de choses à dire. Le sourire aux lèvres, elle fait l’éloge de Daniel, rougissant de gêne à côté d’elle : « son sens de l’humour, son intelligence, son amour pour les gens, sa persévérance, son optimisme, sa patience, sa modestie, son opiniâtreté… ». Après cette avalanche de compliments, Anick et Daniel se confient en toute complicité sur l’évolution de leur couple entre les débuts de leur relation et aujourd’hui. « Maintenant la sexualité n’a plus la même place, mais l’amour dans son essence véritable est toujours le même. Dès que l’autre n’est plus là, l’absence de l’autre est présente. Nous revenons à l’essentiel, nous sommes comme les inséparables, toujours sur la même branche », confie avec simplicité Anick. 
Au travers de ces moments de vie, des chansons de Daniel accompagnées des belles phrases d’Anick, le portrait de leur vie se dessine sous nos yeux ébahis et captivés. Une histoire aussi passionnante que riche en réflexions, qui est la sublime preuve que malgré les années et les rudes épreuves de la vie, le vrai amour ne vieillit pas. Et il ne cesse de faire battre le cœur de nos deux amoureux chaque jour qui passe.

Lucas, Léa, Alice & Maud

Nous sommes 4 étudiants qui avons voulu raconter une histoire d’amour profonde et émouvante.
À travers le portrait passionnant d’Anick et Daniel, nous espérons transmettre la même émotion qu’ils nous ont partagée.