
« J’ai préféré partir avec un verre d’eau et un trognon de pain »
Divorcer après 60 ans expose souvent à des défis financiers majeurs : partage inégal des biens, frais juridiques élevés et baisse du niveau de vie. En France, les « divorces gris » augmentent depuis 1996. C’est le cas de Mireille et Sophie Berard, deux retraitées pour qui ces séparations tardives ont été synonymes de difficultés financières.
À 60 ans, le divorce n’est pas qu’une histoire de cœur, c’est aussi une question de survie financière. Si toutes les catégories d’âge sont concernées par la fin d’un mariage, on constate une augmentation chez les 60 ans et plus. Selon l’étude La hausse des ruptures et des remises en couple chez les cinquante ans et plus de l’Ined, parue en 2021, les « divorces gris » ont triplé entre 1996 et 2016. La part des divorces impliquant des personnes de plus de 60 ans est passée de 4 à 12 % pour les hommes et de 3 à 8 % pour les femmes. « Il est difficile à ce stade de dire s’il s’agit d’un effet propre à l’arrivée de la génération des babyboomers à ces âges avancés, ou si la hausse se poursuivra avec les générations suivantes lorsqu’elles atteindront à leur tour 50 ans », souligne l’étude. Ces séparations sur le tard peuvent avoir de lourdes conséquences financières, telles que l’incapacité de se loger et le risque de se retrouver à la rue. Mireille* et Sophie Berard témoignent sur l’histoire de leur divorce.
Toutes deux divorcées à l’âge de 60 ans, après respectivement 40 et 49 ans de vie commune, pensaient finir leur vie avec leur ex-mari. Les deux femmes ne s’attendaient pas à se séparer. « Il me traitait comme transparente et m’a trompée avec ma secrétaire, que je considérais comme ma sœur », raconte Mireille, toujours bouleversée par cette histoire.
De son côté, après son mariage en 1976, Sophie déménage en Italie avec son ex-mari. « J’ai lutté pendant 49 ans avec un mari dépressif. Il refusait d’aller consulter pour se soigner », révèle la bretonne. Après l’ultime dispute, ils conviennent d’une séparation légale en Italie, en 2016. Cette séparation, qui n’existe pas en France, signifie que chacun vit de son côté, sans pour autant mettre fin à toutes les obligations entre époux. Cinq ans plus tard, « il a demandé le divorce sur un coup de tête », annonce l’expatriée étonnée de cette décision. Le divorce sera prononcé à la fin du mois. Sophie aura alors 68 ans.

Divorce et maladie, un combat éprouvant !
« Celles qui partent avec un gros chèque, c’est très rare », explique Maître Gatineau, avocate au Barreau des Deux-Sèvres. Certains n’osent pas demander une prestation compensatoire ou une pension par peur de ne pas être légitime puisque leur conjoint à davantage travaillé. En France, en 1990, 25,4 % des femmes âgées de 20 à 59 ans étaient inactives, contre 3 % des hommes, d’après l’étude de l’Insee, parue en 2022. Étant une femme active pendant plusieurs années, Sophie a osé sollicité sa prestation compensatoire sans ressentir une quelconque illégitimité. Au moment de la séparation légale, 300 euros lui ont été attribués. Depuis la procédure de divorce, son ex-mari s’est opposé au versement de cette pension. « Il a négocié avec mon avocat à 150 euros, c’était ça ou rien », informe la retraitée et poursuit : « Nous avions de l’argent sur un compte en banque qui a disparu. J’ai eu un cancer une semaine après ma séparation en 2016, je n’ai pas eu la force de lutter une nouvelle fois ». L’épuisement physique et émotionnel l’a empêchée de défendre ses droits. Un cas loin d’être isolé.
« J’ai remarqué que plus les gens sont âgés, plus les divorces sont conflictuels. Quand les enfants sont jeunes, les gens cherchent le bien-être pour les enfants », témoigne Alice, notaire. Mireille souhaitait divorcer à l’amiable, mais la procédure n’a pas été à son avantage. Fragilisée par des problèmes de santé, elle a cédé sous la pression de son ex-mari, acceptant un partage inéquitable des biens. « On avait plusieurs maisons. Le terrain de notre maison principale m’appartenait, mais puisqu’il me mettait la pression, je n’en ai récupéré que 50%. Concernant la deuxième, il l’a gardée sans rien me payer », raconte Mireille, exaspérée.
Au-delà de la répartition des biens, la procédure lui a coûté très cher. Après le décès de son premier avocat, son amie lui en a conseillé un qu’elle juge « incompétent ». « J’ai payé 45 000 euros de frais de notaires et 30 000 euros de frais d’avocat mais cela ne m’a servi à rien car l’avocat ne m’a pas défendu », déplore-t-elle. Plus le patrimoine est important, plus le divorce coûte cher. « Les honoraires des notaires sont réglementés, contrairement à ceux des avocats. Les frais de notaire incluent également des taxes, dont une partie est reversée à l’État », informe la notaire.
Affaiblie par ses problèmes de santé, Mireille n’a pas eu la force de lutter pour obtenir une prestation compensatoire. « J’ai été opérée cinq fois du cœur en cinq ans, j’allais mourir si je continuais à me battre », explique-t-elle. Pourtant, cette aide lui aurait permis de ne pas avoir à vendre son appartement. « La prestation compensatoire compense la baisse du niveau de vie à la suite d’un divorce. Elle est déterminée en fonction du nombre d’années de mariage. Elle est donnée soit en une fois, soit sous la forme d’une rente tous les mois pendant maximum huit ans », précise Maître Savina, avocate spécialisée dans le droit de la famille, à Niort, et poursuit : « Lorsque le divorce est acté, elle ne peut plus être demandée ».

Maître Savina, avocate au barreau des Deux-Sèvres
Un train de vie qui a changé.
Mireille et son ex-mari avaient monté une entreprise d’espaces verts, mais elle n’avait jamais imaginé se retrouver seule un jour. « Malheureusement, l’entreprise n’avait pas la capacité de nous offrir à tous les deux une retraite confortable. Je m’étais dit que ma plus petite retraite combinée à la sienne, plus importante, serait suffisante », explique-t-elle. Cependant, depuis son divorce, Mireille a dû revoir son mode de vie. « Je n’ai plus du tout le même train de vie. Je ne sors pas au restaurant. Je ne peux pas acheter de voiture, je me contente de rouler avec une voiture de location. »
« J’ai préféré partir avec un verre d’eau et un trognon de pain », explique Sophie Berard. Pendant 25 ans, Sophie a travaillé comme secrétaire dans un bureau d’ingénieur, gagnant la moitié du salaire de son mari, foreur de pétrole. Son salaire était de 1250 euros, un montant qu’elle trouvait suffisant, car tout était partagé : les comptes et les dépenses. En 2009, plusieurs années avant la séparation, elle a arrêté de travailler. « Après le divorce, en 2016, j’ai fait des petits boulots au noir, à 60 ans. Je me suis recyclé en faisant de l’aide à la personne, jusqu’à ma retraite l’année dernière », affirme-t-elle. Aujourd’hui, même si son train de vie a baissé, Sophie se sent plus sereine. « Bien que mes ressources soient nettement inférieures, ma vie sociale est 1000 fois plus agréable qu’avant », révèle-t-elle, précisant que ce nouveau mode de vie lui apporte davantage de bonheur. « Je suis toujours en vadrouille avec mes amis, et ça me rend heureuse. Je n’ai besoin de rien d’autre tant que mes factures sont payées », conclut-elle.
*Le prénom a été modifié

Lou & Sarah
Nous sommes Lou et Sarah, deux étudiantes, curieuses de comprendre comment se déroule un divorce à cet âge et ses conséquences financières. Nous sommes partis échanger avec des professionnelles et des personnes ayant vécu cela.